Textes sur l'intime à Valence


Une réflexion sur l'intime aujourd'hui

De l’intime du sujet à celui de l’équipe de travail

Je vais tenter de montrer que l’intime est le fruit transitionnel d’un travail psychique, un processus, un échange dedans-dehors permanent et montrer en quoi, aujourd’hui, ce travail serait en souffrance.
Je m’appuierai sur un auteur allemand, Hartmut Rosa, philosophe et sociologue, qui a écrit un ouvrage remarqué en 2010 intitulé « Accélération ». Selon Rosa notre modernité porterait comme valeur première l’accroissement et l’accélération de toute chose. Dans le discours social, le sujet contemporain serait sommé d’augmenter son efficacité et sa rentabilité, d’augmenter le nombre de ses expériences vécues, de développer ses réseaux sociaux et le nombre de ses amis, d’augmenter ses revenus et ses opportunités de carrière, d’accroitre sa mémoire, ses compétences, son intelligence, d’augmenter sa confiance en soi et son potentiel créatif, de développer une préoccupation permanente dans le rapport au corps et à la santé, d’améliorer son mode de communication et son empathie envers les autres, etc, etc. Par ailleurs, alors que nos parents et grands-parents conservaient le même métier, la même maison, habitaient la même région, sur plusieurs générations, un grand nombre d’entre nous sera probablement amenés à changer plusieurs fois de métiers ou de maison, de changer de lieu de vie, d’amis, de collègues et même de famille. Sans parler du changement de voiture, d’ordinateur, et de tout ce que nous avons besoin de renouveler régulièrement beaucoup plus rapidement qu’avant. Il s’agirait d’un phénomène systémique auquel personne ne peut échapper. Il serait propre à nos sociétés modernes démocratiques et capitalistes qui ne tiennent en équilibre que dans l’accroissement et le changement permanent.
Ce qui nous intéresse particulièrement c’est l’effet psychosocial de ce système. Rosa fait l’hypothèse que l’effet le plus préjudiciable serait un phénomène de désappropriation subjective de notre rapport au monde. L’accélération, nous contraignant à passer rapidement d’une chose à une autre et dans tous les domaines de la vie, il nous serait de plus en plus difficile de nous approprier quoique ce soit, c’est-à-dire d’établir des liens stables et profonds, donc intimes, y compris avec nos proches. Chacun étant pris dans ces activités multiples, dans sa temporalité propre en accélération constante. Il considère tout cela comme une forme d’aliénation moderne.
Un sociologue français, Alain Ehrenberg, dans son livre « La société du malaise » propose l’idée d’un changement dans la névrose elle-même. Il pense que la question, l’angoisse de l’individu d’aujourd’hui ne serait plus comme à l’époque de Freud : « Que m’est-il permis de penser, de dire et de faire », mais plutôt « Vais-je réussir à, serais-je capable de, suis-je à la hauteur de … ». Nous serions passés d’une position névrotique classique qui opposait une pulsion à une morale répressive via le Surmoi, à une position névrotique potentiellement dépressive où le sujet doit se mesurer sans cesse à des idéaux tyranniques et à l’angoisse constante de perdre sa valeur narcissique et sa position sociale. La peur de perdre et de se perdre serait la peur fondamentale de l’individu postmoderne. Derrière cette peur il y aurait l’autonomie comme injonction et donc comme paradoxe. Devenez vous-mêmes, réalisez-vous ! Nous sommes passés écrit encore Ehrenberg de l’empêchement à devenir soi à l’obligation de le devenir. Pourtant qui ne serait pas d’accord avec cette injonction de devenir soi-même en toute autonomie ? N’est-ce pas une quête moderne bien établie ?
Le problème c’est la place de l’autre dans tout ça. A vouloir et devoir contrôler nos vies afin de se maintenir dans le flux constant du changement, il est bien possible que ce soit le rapport à l’autre qui soit entrain de passer à la trappe.
H. Rosa, je reviens à lui, vient de sortir en septembre son dernier livre qui s’intitule « Résonance ».
Il propose l’idée que cette peur de perdre puisse être élargie à une peur existentielle de perdre la possibilité d’être touché et affecté par notre vie. La peur, au final, de ne jamais se rencontrer soi-même. Nous arrivons là au cœur de notre sujet sur l’intime. L’auteur fait l’hypothèse qu’au fond de toute personne il y aurait un désir originaire, comme une prédisposition, d’entrer en résonance avec tout ce qui l’entoure, cad d’établir une relation intime avec le monde. Une manière de se sentir chez soi dans l’Autre. L’Autre ici écrit avec un A majuscule ce qui veut dire tout simplement le monde dans son ensemble, y compris les autres. Il considère que notre époque accélérée mettrait en péril la possibilité de réalisation de ce désir fondamental et que la quête effrénée d’accroissement serait, en fait, une réponse paradoxale (puisqu’elle produit le contraire) et quasi inévitable (puisqu’elle est systémique) pour tenter de rester en relation avec le monde grâce à tous les moyens mis à notre disposition. Si nous consommons ainsi de manière compulsive ce ne serait pas seulement parce que nous chercherions à combler un vide ou à masquer une angoisse, ou parce que nous serions sous l’emprise des sirènes du Divin Marché (Dany-Robert Dufour) mais aussi dans le but inavoué et peut-être inconscient de trouver cette résonance dont nous aurions tous besoin. Mais la résonance étant un mode relationnel et non un état émotionnel engendré par un achat, la quête ne trouve évidemment jamais son objet miracle, elle ne peut donc que s’accroitre compulsivement : le prochain voyage sera toujours plus exotique, la chaine stéréo sera encore plus performante, le film violent ou pornographique encore plus brutal.
Quelques mots pour définir plus précisément de quoi parle Hartmut Rosa. Il écrit : « La résonance désigne un rapport de réponse réciproque dans lequel les sujets ne se laissent pas seulement toucher mais sont eux-mêmes capable de toucher, cad d’atteindre le monde par leur action. Un axe de résonance n’existe donc qu’à partir du moment où le monde fait sonner le sujet et où celui-ci est capable réciproquement de faire sonner le monde, cad de le faire réagir et répondre favorablement. Les sujets cherchent dans une égale mesure à produire des résonances et à en faire l’expérience. » Ce qui me semble particulièrement intéressant dans cette définition c’est la dimension relationnelle de réponse réciproque, de dialogue. Réponses affectées coproduites au sein de la relation elle-même et qui n’auraient donc pas existé sans elle. En outre, ces affects partagés ne sont pas nécessairement positifs. Il est possible que la tristesse par exemple fasse l’objet d’un partage et donc d’une résonance intersubjective.
Selon Rosa, la résonance n’est pas un écho, ni un état émotionnel, c’est un mode relationnel. Je le cite : « L’écho ne possède pas de voix propre, il survient pour ainsi dire mécaniquement et sans variation ; dans l’écho ne retentit que ce qui nous est propre et non ce qui répond. » Il insiste tout le long du texte sur le coté fondamental du répondant et nous verrons plus loin en quoi cela est particulièrement pertinent aussi bien dans la constitution de l’intime du sujet que dans la constitution de l’identité professionnelle.
Tout cela n’est pas vraiment une découverte pour nous psychologues qui travaillons dans l’intersubjectivité et qui connaissons les vertus d’une relation de confiance et du partage d’affects. Il évoque d’ailleurs succinctement la relation psychanalytique et sa recherche de résonance mutuelle. Ce qui est nouveau ici c’est de poser que la quête de résonance serait un fait anthropologique et donc le carburant de notre existence.
Il ajoute une autre idée qui me semble fondamentale et apparemment contradictoire : l’idée de l’indisponibilité de l’Autre.
Je le cite encore : « L’extension de notre périmètre d’accessibilité est devenue une forme dominante de la quête de résonance. Mais alors ce qui passe à l’as, c’est la rencontre avec l’Autre indisponible, cad la relation responsive avec lui qui implique une contradiction et rend possible une assimilation transformative présupposant l’expérience active d’une efficacité personnelle. » En terme psy on pourrait dire que l’indisponibilité dont parle ici Rosa correspond à ce que nous appelons l’altérité irréductible de l’autre, ce qui nous renverrais à la castration symbolique, cad tout ce qui nous limite et qui à la fois permet de se constituer un désir propre hors les sirènes de la jouissance immédiate. Par indisponible il faut entendre, ici, une position éthique où l’autre ne peut être, ne devrait jamais être investit comme étant à ma disposition, ce qui veut dire que je dois toujours mener un travail subjectif intime pour me l’approprier, pour m’approprier le fruit de notre relation, qui, elle seule, pourra être disponible à l’intérieur de moi. Je ne peux, à partir de ce postulat, que le rencontrer et non le « consommer. »
En appui sur les propos de Rosa, et de manière a priori contre-intuitive, je dirais que l’intime est un mode relationnel avec soi-même qui passe originairement et continuellement par l’indisponibilité de l’Autre. Cette indisponibilité, cette réponse irréductible, qui n’est ni un écho, ni une confirmation, serait le matériau à partir duquel je vais devenir sujet et développer le plus intime de moi. Je pense qu’il est possible d’affirmer que l’intime comme l’identité n’ont de sens et d’existence que dans leur lien avec l’altérité. Il n’est sans doute pas possible de devenir soi-même sans aucune résistance, sans un travail sur soi permanent. Le problème de notre temps sur un plan subjectif pourrait se formuler ainsi : notre époque met tout en œuvre pour nous présenter l’autre, le monde, comme disponible, cad déjà prêt à l’emploi, prêt à porter, prêt à voyager, prêt à penser, prêt à rencontrer. Je pense que cette manière de nous présenter le monde est sans doute ce qui fait le plus de mal à notre vie intime. Car ce qui est neutralisé alors, c’est le travail subjectif d’appropriation du réel et ce travail serait, ni plus ni moins, la condition d’existence d’une vie intime.
Alain Cugno, philosophe, dans un texte intitulé « L’intime » écrit : « Ma pensée se présente à moi sous forme de mots venus de l’extérieur. Cela ne signifie pas que ma pensée est dans les mots. Ce n’est pas ma pensée qui vient vers moi, ce sont les mots qui viennent vers ma pensée. Cela signifie quelque chose de très clair : de même que je ne rencontre l’intime que sous la forme du plus extérieur (les arbres, les rivières, les autres), de même je ne rencontre la pensée de l’intime que sous la forme du plus extérieur (les mots). Le sentiment d’être soi, le sentiment même de l’intimité, ne se donne pas comme tel, mais tout autrement. L’intime est le lieu absolument original où l’intérieur se donne comme extérieur et l’extérieur comme contenu de l’intérieur.
La saveur de mon existence la plus propre et la plus intime a exactement le goût d’un monde qui n’est pas le mien, la saveur du monde d’un autre. »
Un peu plus loin, il continue :
« J’ai été compris de mon auditeur s’il parle et parvient à dire ce qu’il n’aurait jamais pu dire sans ma propre parole. Et il aura vraiment parlé si, l’entendant, je puis à nouveau m’entendre dire ma propre pensée encore autrement. »
Voyez comme nous avons là une belle résonance entre ces deux auteurs.
Au vu de ces propos on pourrait se demander si l’intime, au sens de ce qui est le plus intérieur, n’est pas une illusion. Une belle illusion, indispensable et aux effets bien réels.

La notion d’illusion me permet de passer maintenant à la fabrique de l’intime. Comment cette illusion fondamentale peut-elle advenir chez un sujet ? Quelles sont les conditions intersubjectives des premiers moments de la vie à l’origine de l’intime d’un sujet ?
Freud écrit en 1938 : « Psyché est étendue, n’en sait rien ». J’entends cette formule, décrite souvent comme énigmatique, comme allant dans le sens du mythe de l’intime et surtout dans le sens d’une psyché qui ne se saisit et ne se construit que dans un rapport initial et probablement permanent avec l’extériorité.
Nous connaissons cette fameuse phrase de Winnicott : « Que voit l'enfant quand il regarde le visage de sa mère ? "Généralement, ce qu'il voit, c'est lui même. En d'autres termes, la mère regarde le bébé, et ce que son visage exprime est en relation directe avec ce qu'elle voit. Elle est son premier miroir. » Cette observation de Winnicott qui définit le visage de la mère comme le premier miroir de l’enfant est déterminante dans l’idée que la psychanalyse se fera de la relation précoce mère-enfant. La plupart des psys depuis lors parleront de la fonction miroir de la mère comme d’un moment essentiel dans la construction psychique de l’identité et du moi de l’enfant.
Toutefois, il me semble que l’expression « fonction miroir » est trompeuse. Evidemment, elle est à prendre au sens métaphorique, mais que se passerait-il si effectivement la mère faisait le miroir, si elle ne faisait que reproduire les gestes, les mimiques et les vocalises de son bébé ? Plus généralement, que se passerait-il si elle ne répondait pas à l’enfant mais se contentait de l’imiter ou plus simplement de s’adapter à lui ? Nous verrons avec Camille et sa reprise de la théorie de la séduction narcissique chez Racamier que certaines mères ont un besoin de confirmation narcissique pathologique. Je suppose que ce besoin exacerbé pourrait engendrer chez l'enfant une modalité relationnelle où l'autre serait vécu comme "disponible", dans le sens de "disposé à s'adapter à lui". L’insécurité maternelle se traduirait par une attitude adaptative, cad non créative, non libre, dont la visée serait de se valider comme mère et non pas de rencontrer ou d’être simplement en relation avec l’enfant. Cela produira une difficulté chez l’enfant pour se rencontrer lui-même et potentiellement, plus tard, une tendance à se servir de l’autre, alors senti comme disponible. On comprend en quoi, je l’espère, la disponibilité, vu sous cet angle, s’oppose à la rencontre en favorisant plutôt une adaptation à l’autre qui s’apparente au final à une utilisation de l’autre. (Nous avons là un argument pour discuter notre position de psy.)
L’autre est indisponible éthiquement au sens où il n’est pas à ma disposition, comme nous l’avons vu, mais il est aussi indisponible à lui-même par la division inconsciente qui le constitue. N’est-ce pas dans ces lieux insu de la mère que l’enfant peut se bricoler un chez soi, se trouver une place où se loger parce que justement ici personne ne l’attend au détour ? Ici personne ne le veut comme ci ou comme ça. Mais ces lieux psychiques ne sont pourtant pas vides, ils échappent simplement à la mère. Et c’est très bien ainsi. L’infini variété des façons de regarder, de toucher, de parler, la façon unique de la mère d’habiter dans son corps et dans sa parole, c’est à cela que l’enfant va s’identifier, c’est ce style, que la mère ne maîtrise pas, qui laissera au cœur de l’intime du sujet la saveur d’un autre, comme dit Alain Cugno. Pour le pire et pour le meilleur.
Quand Winnicott écrit « ce que le visage de la mère exprime est en relation directe avec ce qu’elle voit », il faudrait ajouter « et aussi en relation directe avec son inconscient, relation intime qui s’exprime dans chacune de ses attitudes. » Il me semble que l’enfant ne se voit pas seulement dans les efforts de la mère pour s’accorder avec lui, je dirais qu’il se voit quand précisément la mère ne pense plus à lui en tant que bébé à s’occuper, mais à un autre, un enfant rêvé, celui qu’elle entrevoit sans le savoir dans les plis de cet enfant réel. Notre intime est aussi fait je pense de la saveur de cet enfant imaginaire là.
La nature particulièrement paradoxale de la relation mère-enfant et donc de la construction de l’identité du sujet a été théorisé avec le concept de double transitionnel par Johann Jung, élève de R. Roussillon qui lui-même avait pensé ce qu’il a appelé la relation homosexuelle primaire en double.
Chez Johann Jung le double transitionnel à avoir avec l’espace intermédiaire de Winnicott. La relation en double entre mère et enfant correspondrait aux premiers temps de la constitution du Moi. Nous savons maintenant depuis plusieurs années que le bébé a des capacités très précoces de reconnaissance de la différence entre lui et l’autre, ce qui remet en question le stade anobjectal classique que nous enseignait la théorie freudienne. Il y aurait de l’autre dès le début. Mais la question est quel autre ? Comment le nourrisson perçoit subjectivement cette altérité ? C’est à cette question que tente de répondre le concept de double transitionnel. Ce que l’enfant percevrait c’est un double de lui-même à la fois différent et semblable. Cela serait possible grâce aux facultés d’accordage sensoriel et affectif de la mère. Quand tout se passe bien, elle répond aux sollicitations de son enfant par des gestes, des mimiques, des vocalises qui s’accordent à la façon d’une chorégraphie et non pas d’un miroir, aux expressions de l’enfant. En cela le double est bien transitionnel et non pas mimétique. Cette réponse de l’autre, on l’aura compris, n’est pas incompatible, bien au contraire, avec son indisponibilité fondamentale. Donc différent et semblable à la fois. Différent parce que l’enfant percevrait que cet autre n’est pas lui et semblable parce que c’est lui-même qu’il est entrain de fabriquer dans et à travers les réponses maternelles. Mais à ce stade il n’a évidemment pas conscience de cette danse à deux. Et c’est précisément ce qui va engendrer l’effet d’illusion identificatoire primaire. Il se prendra pour cette image dedans –dehors, à la limite entre lui et l’autre. Il se prendra donc pour ce double transitionnel à la fois trouvé et crée. On pourrait très bien parler d’une aliénation bienheureuse. Aliénation mutuelle entre mère et enfant. Du coté de la mère aussi car celle-ci se prend sans le savoir dans les filets de l’enfant par les résurgences inconscientes de l’enfant qu’elle a été et par l’accordage affectif qu’elle a pu établir avec sa propre mère. Aliénation indispensable à la qualité de leur relation. Indispensable à la possibilité de faire sentir à l’enfant ce qui deviendra plus tard un effet de résonance entre lui et le monde, effet dont H. Rosa nous dit qu’il est l’objet fondamental de la quête perpétuelle de tout sujet toute au long de sa vie. Il me semble que nous avons là un fondement psychanalytique à la théorie sociologique de Rosa.
L’étape d’après consiste pour l’enfant à intérioriser cette matrice relationnelle en double et ainsi à se constituer sa réflexivité interne, son contenant, l’écran intérieur sur lequel il pourra projeter et inscrire ses premières images et ses premiers affects. Ecran sur lequel il pourra se voir lui, se sentir lui-même et donc à partir duquel il développera sa vie psychique intime. Cette introjection de la relation en double pourra se faire lors d’un moment encore une fois paradoxal qui est l’hallucination négative de la mère. Je m’appuie ici sur la conception d’André Green. C’est seulement en effaçant la mère de son champ de perception que l’enfant pourra la prendre au-dedans. Selon Green ce mécanisme serait indispensable à l’élaboration de ce qu’il appelle une structure encadrante interne. Cette structure serait la base psychique, le contenant primordial qui autorise le développement d’une intériorité. Ce qui est mis au-dedans alors c’est la mère comme contenant, la mère qui porte, qui contient, mais aussi la modalité relationnelle avec elle. Et j’ajoute : alors et alors seulement l’autre devient disponible par ce travail de métabolisation psychique qui permet à l’enfant de transformer l’indisponibilité, l’altérité irréductible de l’autre, en disponibilité intime. A partir de là, l’enfant se réfléchira donc comme il a été réfléchi, en tout cas comme il s’est vu et senti à travers les réponses conscientes et inconscientes de l’autre maternel. Ce contenant n’est donc pas juste un sac enveloppant c’est un véritable théâtre intérieur avec plein de choses plus ou moins à lui, plus ou moins étranges, plus ou moins plaisantes. C’est un théâtre trouvé-crée qui conservera cette propriété dedans –dehors tout au long de la vie. Propriété qui permet de comprendre en quoi l’intime, le sentiment même de soi, passe par l’extérieur. Ce double transitionnel, je le vois comme une double interface : il fait le pont entre dedans et dehors, en différenciant et en liant soi et l’autre et il fait le pont entre soi et soi-même en ouvrant à l’intérieur un espace réflexif qui permet le rapport du sujet avec lui-même. Le sujet peut alors croire en l’illusion que cet autre intérieur qu’il sent n’est rien d’autre que lui-même. Ce qui est intériorisé avec cet objet double de soi ce n’est pas seulement un objet interne, c’est aussi et surtout une modalité relationnelle, une sorte de schéma fondamental qui ne pourra, plus tard, que nous porter à rencontrer l’autre puisque c’est ainsi que nous nous sommes rencontrés nous-mêmes, à travers lui. Rêver, Lire, écouter de la musique, penser, toutes choses parmi les plus intimes sont des activités psychiques rendues possible par cette modalité relationnelle originelle. Nous ne faisons jamais rien d’intime qui n’ai un rapport avec notre interlocuteur transitionnel (Guy Lavallée).
A partir de là, il est évident que l’hyperactivité à laquelle nous contraint le système ne peut que nuire à la vie intime. Que devient notre interlocuteur interne quand le monde autour nous effraie, nous contrôle, nous piste, nous sollicite constamment, nous abuse, nous excite, nous trompe. L’appareil psychique ne risque-t-il pas d’être saturé ou simplement épuisé ?
Au regard de ce qui vient d’être dit sur l’accélération et la désappropriation subjective, ce qui est menacé ce serait donc le travail silencieux de l’intime. Ce temps indispensable et permanant de création de soi en appui contre et tout contre l’autre indisponible. Car l’intime est un processus, comme l’identité, il n’en finit jamais de se créer et recréer sans cesse en appui sur le lien dedans –dehors. Ce travail a nécessairement une temporalité propre qui en passe par l’acceptation d’une certaine passivité. L’accélération, l’hyperstimulation perceptive permanente, la course à l’autonomisation forcée, produiraient, en-deçà d’une hyperactivité apparente, en réalité, une passivation (sidération, emprise) écrasante en privant l’individu moderne de ce temps essentiel de la « passivité digestive » qui consiste dans la métabolisation et l’intériorisation de ce qui lui arrive.
Une lueur dans ce désert de résonance : avez-vous remarqué le succès de la fête des voisins, des marchés de petits producteurs, du retour du local, le succès des grandes manifestations publiques qui drainent de plus en plus de monde, le développement du nombre des associations ? Ce ne sont que quelques exemples, mais il me semble qu’ils parlent d’un désir de résonance assumé comme tel et non à travers la consommation à outrance.

Quelques mots à présent sur l’intime dans les institutions.
Il a été question plusieurs fois de la faculté de réponse résonante de l’objet dans les temps primaires de l’intersubjectivité. Pour une équipe de travail cette qualité de réponse est tout aussi essentielle. C’est pourquoi l’absence de répondant que nous observons dans les institutions engendre des souffrances inédites.
L’absence du répondant serait aujourd’hui une des caractéristiques des relations en général et professionnelles en particulier. Dans le « Malêtre » René Kaës écrit : « Le répondant est la présence humaine à une adresse, à une demande. Le répondant accepte d’en être le destinataire, il ne se dérobe pas devant le risque de la rencontre. L’ampleur de ce désastre qu’est la disparition du répondant ne s’éprouve pas seulement lorsque les automates se substituent à la présence humaine sous le prétexte de gains de productivité. Cette neutralisation de la présence est, je le crains, une des manifestations de la haine de la psyché, et donc de l’autre, imprévisible, dont les questions dérangent. »
A travers « imprévisible » nous pourrions sans trop nous tromper entendre « indisponible »
Dans les institutions médico-sociales nous constatons tous aujourd’hui un envahissement gestionnaire. Les directeurs et directrices sont tous devenus, ou presque, des managers gestionnaires qui gèrent leur institution comme une entreprise. C’est la commande qui leur est faite. La différence de taille c’est que les institutions sociales ne rapportent pas d’argent, elles en dépensent. La crise sans fin dans laquelle nous vivons depuis des dizaines d’années, contraint l’état à contrôler drastiquement ses budgets. Ce contrôle se traduit par des normes, des recommandations, des prescriptions, des procédures, des évaluations, des statistiques, des chiffres en tout genre qui viennent envahir le quotidien des équipes de travail. Les métiers de la relation humaine nécessitent de parler de soi, d’échanger, de travailler ensemble, de s’interroger, d’analyser sa pratique régulièrement pour d’abord et continuellement se soigner soi-même. Un aidant qui n’est pas aidé ne peut pas aider sérieusement.
A peu près tout ce qui est mis en place par l’emprise gestionnaire va à l’encontre de ce soin indispensable au soignant. Les réunions d’équipe autour des usagers, les temps informels, les temps de transmission sont tous systématiquement remis en question ou alors envahis par l’organisationnel et la gestion. Tous ces temps sont pourtant fondamentaux dans le maintien de la confiance dans une équipe et dans la constitution de l’équipe elle-même.
Mais le plus compliqué est l’absence de répondant. Quand une équipe se plaint de ne pas pouvoir faire son travail auprès de son chef, ce n’est pas en réalité pour obtenir des réponses techniques, mais pour partager son désarroi et trouver un répondant bienveillant qui reconnait cette difficulté et qui assure que « oui nous sommes bien dans le même bateau, qui ressemble souvent à une galère, mais que nous allons tous ensemble, avec les moyens du bord, réussir à créer quelque chose de satisfaisant ». Il me semble que les réponses aujourd’hui, quand il y en a, prennent la forme de recherche de solutions au lieu de garantir l’existence d’un sens commun. « Il n’y a pas de problème, il n’y a que des solutions ! » Ce n’est que dans la fabrique d’un sens commun partageable que le sentiment collectif intime d’appartenir à une entité singulière et irréductible à toute autre pourra être entretenu. Les gestionnaires ne parlent pas la même langue que les accompagnants. Ils ne peuvent répondre de ce qu’ils font qu’en termes économiques. Ceci produit évidemment de l’incompréhension mutuelle, mais surtout un vécu d’abandon dans les équipes. Comme un nourrisson qui ne se verrait plus dans l’accordage maternel, qui n’aurait plus de place, dans l’espace de l’Autre, pour se bricoler l’illusion d’être créateur de lui-même. Ce que les équipes ont perdu c’est l’espace et le temps pour entretenir cette illusion transitionnelle d’être créatrices de leur pratique et de leur cadre d’action.
Les institutions sont contraintes de fonctionner comme des plates-formes ouvertes qui gèrent des flux, cad des entrées et des sorties. En perdant ainsi son enveloppe et en appliquant des normes et des procédures anonymes, l’institution perd donc son identité et ce qui a fait sens dans son histoire. Comment alors une intériorité, un vécu intime institutionnel pourrait se développer ?
La difficulté majeure, pour les équipes, se trouve dans la quasi impossibilité de s’appuyer sur une illusion groupale suffisamment éprouvée. L’illusion groupale, concept élaboré par Anzieu, consiste en un moment fondateur où l’équipe se sent comme un seul homme : « nous sommes une bonne équipe, nous travaillons bien ensemble et nous avons un bon chef ». Ce temps devra être dépassé dans un autre de temps de désillusion, mais l’illusion ayant eu lieu elle laissera des traces positives et rendra possible la créativité de chacun. Je fais l’hypothèse que ce temps là, indispensable à la constitution d’une équipe est aujourd’hui constamment remis en question par les changements permanents au sein des équipes elles-mêmes et au sein de l’institution. On voit bien que l’illusion de ne faire qu’un, de sentir les autres comme soi-même, partageant un même idéal, nous renvoie à l’idée du double transitionnel. Ici se serait l’équipe qui n’arriverait plus à se voir et à se sentir elle-même comme une entité à part entière. Autre parallèle avec le double : nous avons vu que l’enfant devait effacer sa mère pour prendre au-dedans la relation en double. Je propose l’idée que toute équipe aurait besoin de réaliser cet effacement à l’égard de son institution pour l’intérioriser comme contenant, comme une matrice à penser ensemble. En étant constamment contrôlé et en même temps abandonné par l’absence de répondant et renvoyé vers une pratique procédurale, il est impossible d’effacer une mère institution qui n’a plus les moyens d’instaurer une relation résonante. La résonance donne le sentiment d’être actif, pertinent et surtout relié au monde. Ce n’est pas en autonomie, seule face à sa tâche primaire, que travaillent un accompagnant, mais dans le lien constant avec ses collègues et ses cadres. Si les directions restent froidement technocratiques ou terrorisées par un métier qu’elles ne connaissent pas elles ratent la rencontre avec leurs équipes et les contraints à l’évitement d’elles-mêmes, au repli défensif, au morcellement, à l’application automatique des procédures, au cynisme ou à la mélancolie.

En conclusion, une ouverture : pour rencontrer un peu de résonance les équipes devraient –elles considérer l’absence du répondant comme une forme particulière de l’indisponibilité de l’autre ? Je pose la question sérieusement. Je me demande si ce n’est pas ce qui arrive parfois quand les équipes réussissent à créer, malgré cette apparente incommunicabilité, une alliance de travail avec leur direction gestionnaire. Il s’agirait d’accepter que cet autre étrange et étranger qui ne parle pas le même langage que l’équipe puisse, dans un premier temps, être indisponible, cad pas du tout à sa disposition. Accepter l’idée que la disponibilité de cet autre ne peut être que le fruit d’un travail subjectif, d’une assimilation, comme nous l’avons vu, mais pas une donne a priori. Les pères fondateurs des institutions de l’ancien monde étaient dans l’excès inverse. Ils portaient leur institution à bout de bras, quitte à en devenir tyrannique.
Accepter cette nouvelle donne me semble un passage obligé aujourd’hui, un pré requis à toute évolution possible, pour sortir de l’état de guerre et panser les pertes réelles auxquelles sont soumises les équipes et poser les conditions d’une rencontre. Un peu comme un enfant qui devra bien un jour accepter ses parents tels qu’ils sont. Les gestionnaires eux-aussi ont un inconscient dans les plis duquel il est sans aucun doute possible d’y entrevoir une réponse résonante.

Xavier Contamine – octobre 2018

Le répondant

Quand l’Objet ne répond pas
Kaës dans « Le Malêtre » (2012) : « J’ai éprouvé de l’angoisse et de la colère devant cette autre forme de destruction de la subjectivité : la disparition du répondant. »

Quand j’ai découvert cette phrase de Kaës, elle m’a particulièrement inspiré car elle venait faire écho à une hypothèse que j’avais esquissé dans notre groupe de travail « Regards croisés » autour du statut de l’objet à notre époque dans son rapport à la pulsion. Je supposais que les objets psychiques ou ceux de la réalité étaient entrain de disparaitre en tant qu’objet investissable par le sujet, dans la mesure où ils devenaient insaisissables. C’est évidemment une idée un peu radicale que je vais tenter de préciser dans le texte qui suit, en appui sur quelques réflexions de Kaës, toutes issues de son livre « Le Malêtre. » Je tiens à dire que dans ce texte je ne relève que ce qui a trait à se défaut de répondant. Il est évident que la réalité institutionnelle ne se résume pas à cela, elle est beaucoup plus riche et complexe.
Nous connaissons tous l’importance fondamentale de la réponse de l’Objet (celui ou celle en charge de l’enfant) dans le développement psychique de l’enfant. Cette importance ne fut pas reconnue aussi précisément dès le début de la psychanalyse et ce n’est sans doute pas pour rien si l’objet a pris progressivement une place déterminante dans la théorie analytique. Le terme objet est utilisé au regard de la pulsion qui ne s’adresse pas à un autre, mais bien à un objet dont elle a besoin pour atteindre son but qui est la satisfaction. Si la pulsion est aveugle, le désir serait ses yeux, son visage. Le désir lui s’adresse à un autre – semblable. Tout l’enjeu du travail de culture est de transformer la pulsion en désir. L’autre, celui qui est sensé faire le porte-parole (Aulagnier) auprès de l’enfant, qui est sensé transmettre des contenus autant que des contenants est indispensable dans ce travail et c’est sans doute là un des problèmes majeurs aujourd’hui. En utilisant ce schéma de base pour penser les institutions et la société en général, on peut dire que le porte-parole aujourd’hui a du mal à faire son travail, du mal à répondre, à se positionner, à penser ce qu’il fait et doit faire. Car pour développer une pratique, investir une institution, écouter des usagers, il faut nécessairement vivre dans un état de rencontre. Il faut parler, agir, penser. Mais dans quel cadre, avec quelle référence, selon quelle idée du monde et de l’autre ? Ces questions fondamentales peuvent-elles encore être posées dans les institutions ?
Ces dernières années, j’ai l’impression de saisir, parfois avec effroi, combien la psyché n’en finit pas de se construire et surtout de se déconstruire à la mesure où le monde renvoie ou ne renvoie pas de quoi s’y projeter, de quoi l’investir et donc de quoi s’investir soi-même à travers lui. Il suffit de voir comment une équipe se mobilise avec enthousiasme autour d’un projet et de constater comment un mois plus tard elle est effondrée ou sidérée par sa disparition inexpliquée et inexplicable. Il suffit d’entendre des psychologues parler de leur réunion d’équipe : « Après chaque réunion on met une semaine pour s’en remettre, pour comprendre ce qui s’est passé, ce qui a été dit, réussir à trouver la cohérence et se protéger des paradoxes. » Ces psys là en pensent déjà quelque chose, ce qui est loin d’être le cas partout.

Sur la disparition de la marge :
Beaucoup d’institutions se comportent comme des mères incompréhensibles, caractérielles, désaffectées, insaisissables, c’est-à-dire des mères qui ne transforment rien entre ce qui vient d’en haut (les tutelles, les mères supérieures !) et ce qui surgit du dedans. Comme des mères qui appliqueraient à la lettre une technique éducative pour que leurs enfants grandissent bien, sans s’autoriser à jouer, à rire, à pleurer avec eux. Sans pouvoir les regarder. Nous l’avons déjà évoqué dans le Séminaire en parlant de l’’interface que les directions n’exercent plus entre dedans et dehors. Dans la plupart des textes du séminaire il en a été question, non sans une grande inquiétude. Beaucoup d’institutions donc ne permettent pas qu’on les « utilisent » comme des objets d’investissement, d’exploration, d’apprentissage, de maturation. Winnicott parlent non seulement de la relation d’objet, mais aussi de l’utilisation de l’objet dans le développement psychique de l’enfant. Si la mère n’accepte pas, jusqu’à un certain point, de s’effacer, de se laisser « manipuler », c’est-à-dire investir par l’enfant, celui-ci ne peut pas se trouver en elle, trouver son image dans les creux de la mère. Trouvé, construire sa pratique dans les creux de l’institution devient très difficile. S’effacer ne veut pas dire disparaître, mais au contraire garantir par sa présence ajustée une marge de manœuvre pour que son enfant trouve-crée, en appui contre elle, son temps, son espace et sa rêverie à lui. J’utilise le terme de marge en référence au groupe de travail « Résister c’est créer » qui nous a sensibilisé à cette notion. Dans ce groupe elle a été utilisée pour parler d’une façon de résister à la non-pensée, je m’en sers ici pour évoquer ce qui a disparu, ce qui revient au même. Nous assistons tous impuissants à la disparition de cette marge. Elle disparait quand l’application de procédures remplace le développement d’une pratique ou quand les normes de sécurité remplacent le cadre sécurisant. Cette perte dans le travail d’accompagnement produit un lien opératoire où les deux protagonistes cherchent à obtenir de l’autre ce dont il a besoin. Laisser venir, écouter, prendre la parole devient difficile, voire dangereux. Bien-sûr, se développent comme toujours dans ce genre de système d’emprise des pratiques clandestines (Alain-Noel), mais elles sont très marginales et ont un prix parfois élevé. Quand la marge a disparu, il peut se passer au moins trois choses : - un repli dépressif, qui permet encore de souffrir, mais plus d’aimer, - un recours opératoire, un clivage fonctionnel, un mode automatique qui évite le conflit interne et donc la souffrance, mais qui permet d’exister sans y être, - aussi la dépendance anxieuse à cette « mère » désaffectée. Un peu tout ça à tour de rôle, selon les moments, les états d’âme de l’Autre. Je constate régulièrement ce genre de phénomènes qui alternent dans les équipes.

L’ atteinte portée à l’autre dans le moi :
Kaës insiste sur la défaillance des métacadres. Il considère que tout le champ psychique du préconscient est menacé dans sa possibilité de développement par l’instabilité des métacadres sociaux et culturels. Pour dire vite, la notion de métacadres correspond à tout ce qui dépasse le sujet individuel et qui pourtant contribue à le structurer en garantissant des repères, un sens, une fiction collective, la possibilité de s’identifier à une histoire et à des idéaux partagés. Dans le monde d’avant (j’aime bien cette formule !), la religion, la nation, les institutions publiques, l’autorité, le progrès social, les grands récits politiques, idéologiques, philosophiques, tout cela contribuait à construire un lien social mais aussi les sujets de ce lien. Kaës rappelle que le système préconscient (essentiellement donc une grande partie du surmoi et les idéaux) se construit aussi et surtout en appui sur cet environnement symbolique et imaginaire. Chose que nous savons intellectuellement, mais que nous avons, en tout cas moi, tendance à oublier tant nous sommes penchés sur l’histoire individuelle et intrapsychique des sujets que nous écoutons. Au préconscient est attaché la capacité associative et interprétative de la psyché. Il est le lieu de la construction représentationnelle et de l’élaboration du sens, nous dit Kaës. Il recouvre donc largement ce qu’on appelle le processus secondaire dont la tâche est de lier ce qui vient du primaire. Sa fonction essentielle est de fabriquer des objets représentatifs destinés à contenir la pulsion. Dans sa construction, le préconscient est tout à fait dépendant des réponses de l’objet. A ce sujet Kaës cite J. Guillaumin : « Je suis porté à considérer le préconscient comme le lieu même de l’autre dans le moi. » L’intérêt de cette réflexion est de donner à penser un lieu psychique où se jouerait l’essentiel de la problématique.
Par ailleurs, Piera Aulagnier a théorisé l’état permanent de rencontre dans lequel est plongée la psyché. Le travail de métabolisation est constant, l’appropriation du monde par le Je n’en fini jamais. Lorsqu’il est particulièrement sensible, le « Je » peut-il se perdre si « l’autre » ne l’informe plus sur ce qu’il est et particulièrement sur le sens de ce qu’il fait ? Plus exactement si le matériau envoyé par
l’objet (l’extérieur) et reçu par le Je est indigeste, incohérent, intraduisible et qu’il est le plus souvent impossible de s’y soustraire dans la réalité, le sujet peut se retrouver en situation potentielle de détresse. Evidemment, chacun y réagira de manière singulière. Mais je suppose qu’il y a un fond commun. Je pense là au burn-out, cette espèce de dépression violente qui stoppe net la machine. On doit pouvoir penser que les burn out sont des moments où l’autre au-dedans, tout ce qui relève du travail de représentation en appui sur l’environnement, est en voie de disparition parce que l’autre au-dehors est introuvable, incompréhensible. Comme si le sujet perdait le fil de soi, perdait son rapport à ses objets internes en perdant l’état fondamental de rencontre. La surcharge de travail ne suffit pas à expliquer cet effondrement soudain, il faut surtout je pense que le sujet soit coupé de son lien à l’autre, coupé du sens de ce qu’il fait et au final coupé de son rapport au plaisir de faire le travail. Le sujet disparaitrait alors avec « la disparition du répondant. » Mais d’une façon plus fréquente et moins bruyante ce qui se produit consécutivement à cette atteinte de « l’autre dans le moi » ce seraient un appauvrissement de l’imaginaire, de la pensée, de la création, une grande difficulté à contenir et à parler en son nom propre. Je résumerais le problème par cette formule : puisque l’autre c’est moi, s’il s’efface, qui suis-je pour prendre la parole ? Et éventuellement qui suis-je, tout court ?

Sur la combustion :
Je pense que les objets quels qu’ils soient aujourd’hui, les objets au-dehors comme ceux du dedans, sont très difficiles à investir. Au-delà du fait qu’ils soient parfois insignifiants ou impénétrables, leur possibilité d’investissement est malmenée par l’accélération sociale et technologique (H. Rosa), par le changement permanent qui attaque tous les repères, par la prolifération des possibles qui noie le désir, par la transparence, autrement dit par l’opacité du monde actuel, par les paradoxes qui règnent en maître, etc. Certains sont consommés. Mais je n’ai jamais bien compris l’utilisation de ce mot. Consommer c’est se nourrir, le lien qui s’établit avec ces objets ne semble pas nourrissant. C’est tout le contraire. Beaucoup de ces objets se consument plutôt dès qu’ils surgissent pour disparaitre aussitôt, soit réellement, soit noyés dans la masse. Le sujet fragile disparaitrait-il avec ces objets, se consume-t-il avec eux ? S’il y a un peu de ça dans la réalité sociale, ne vivons nous pas alors dans une société de la combustion, plus que de la consommation ? On peut penser que cette valse des objets produit ce que, dans notre groupe de travail, nous avons appelé les flux.

Sur la question des flux.
On entend beaucoup des les institutions, quand arrive un nouveau directeur ou un nouveau chef de service : « Qu’est-ce qui va encore changer ? » La question porte de plus en plus sur le changement lui-même. Les flux ce sont les centaines de mails par semaine à traiter, les procédures et les normes qui arrivent sans cesse, c’est les collègues qui disparaissent et réapparaissent ou pas, les directions qui changent, etc. Le flux, d’une manière générale, c’est la vitesse et l’accélération sociale qui rend très difficile d’intégrer, de s’approprier toute chose aujourd’hui. Au point où l’on peut se demander si l’objet, du point de vue du sujet, n’est pas entrain de changer de nature sous la contrainte exercée par la vitesse d’accélération ?
Dans l’industrie et de plus en plus un peu partout le flux tendu devient la référence pour produire quelque chose. C’est Toyota qui, après la seconde guerre mondiale, élabore cette méthode de production. Elle respecte 5 principes, les 5 zéros : zéro défaut, zéro délai, zéro stock, zéro panne et zéro papier. La production devient un processus à réguler et entretenir en permanence. Ce processus contraint chacun à être responsable de la continuité du flux. S’il s’arrête, c’est tout le système qui s’arrête. Plus rien ne fait tampon, filtre, médiation. D’où l’apparition inévitable de tensions considérables, d’angoisses nouvelles, de souffrances nouvelles. On voit que dans ce système le flux devient l’objet à surveiller anxieusement, à ne pas perdre des yeux. Comme une mère opératoire, il n’est ni possible de l’investir, ni possible de la perdre. Comme le lait sur le feu, il ne doit jamais arrêter de chauffer et ne jamais déborder ! Le flux, il est impossible d’y entrer véritablement et impossible d’en sortir. C’est un
paradoxe devenu une norme. Cet effet de flux est perceptible sur les chaînes d’informations en continu, les réseaux sociaux, sur les marchés boursiers, etc. Mais aussi dans les institutions où il faut que les usagers passent vite d’un service à l’autre, d’une structure à une autre. Ce qu’on appelle aujourd’hui le réseau (santé, social) est souvent investit comme une machine à faire tourner, un flux à entretenir, plus qu’à véritablement investir. Faut éviter le plus possible la rencontre, donc le transfert. Il faudrait investir le désinvestissement ! Je pense au concept de Green, le narcissisme négatif : investir la déliaison.
Je me demande comment ce phénomène de flux peut faire écho, peut être pensé au regard de ce qu’Aulagnier appelle le « fond représentatif », ce flux psychique qui traite toute la réalité en permanence et en direct pour la rendre homogène au système psychique ?

Sur l’hypothèse de la menace permanente d’une perte du rapport à l’objet.
Elle est telle, cette menace, qu’elle ne se présente jamais comme une perte et de ce fait elle est très difficile à repérer et surtout à digérer. Je le remarque dans les institutions. Les équipes ne parlent jamais de quelque chose qu’elles auraient perdu, un lien aux usagers, aux collègues, le lien à l’institution, à leur pratique. J’ai entendu une fois : « Je crois que nous avons perdu notre bébé. » Ce qui
est le plus perceptible c’est une incompréhension, une fatalité, une peur, une ironie rampante, des larmes qui surgissent régulièrement sans que l’on sache d’où elles viennent. Je pensais, en référence au livre de Myriam Revault d’allonnes « la crise sans fin », à une perte sans fin, une perte encore une fois paradoxale, une perte imperdable. En APP, lorsque les échanges tournent autour de cette question, il m’arrive d’évoquer cette perte en parlant de désappropriation, de pratique difficile à trouvé, d’un idéal perdu. Alors, je suis souvent étonné du changement de tonalité dans les échanges. Ils deviennent plus denses, plus affectés. Massivement j’entends : « De toute façon on est tous seuls ! » Certains réussissent à raconter comment ils ont discrètement modifié leur pratique, comment ils ont été contraint à perdre mais avec culpabilité ou fatalisme. Cette modification de la pratique n’est jamais élaborée dans l’institution. Une psychologue qui mène, en équipe, des investigations dans un cadre judiciaire disait : « J’ai tellement de situations en cours, que pour la première fois de ma carrière je suis obligé d’en oublier. Je sens que je les laisse, je n’y pense plus, jusqu’à ce que je me penche à nouveau sur leur cas. » On entend bien le lien à l’objet qui se distant, devient discontinu, menace forcément de se perdre. Je pense que se dégage là une figure de la perte singulière.

Sur la poussée autonomiste.
Alors que le problème majeur est donc celui de l’appropriation subjective, on entend partout parler d’autonomie. La plupart des institutions n’ont qu’un seul projet venu des tutelles technocratiques : l’autonomie des usagers. Là où elle est objectivement impossible on se contente de parler de bien-traitance. Mais cette idéologie prolifère aussi dans la loi : autonomie des universités, et bientôt probablement autonomie du primaire et du secondaire. Loi sur l’autonomie des personnes âgées, des personnes handicapées, des patients, sur l’autonomie financière des collectivités locales, etc.
Le système fabrique des masses de chômeurs et de RMIstes et la valeur suprême est l’autonomie. C’est un peu comme si on disait à quelqu’un qui se noie de nager pour s’en sortir. Soyez créatifs, soyez autonomes, encore et toujours le paradoxe. Tout ce qui fait penser à un lien de dépendance est proscrit, il ne faut pas rendre les gens dépendants ! Cette idéologie positiviste à connotation néolibérale et qui ressemble à une pensée magique (ou à une méthode Coué), nie son pendant, son négatif indépassable qu’est la dépendance de structure à l’autre et à l’ensemble. Il faudrait aller « se rendre » autonome, se fabriquer autonome, comment ? Grâce aux experts du comportement, du social, de la santé, aux coachs, aux psys en tous genres. Mais aussi grâce aux nouvelles technologies qui laissent entrevoir ce que serait le post-humain : un individu totalement autonome, moitié homme, moitié machine, informé en temps réel sur tout ce qui pourrait satisfaire ces besoins. Comment imaginer méthode plus radicale pour détruire le désir et donc paradoxalempent l’autonomie ? Il faudrait donc se laisser hétéro-engendrer comme individu autonome !

Sur la dépendance impossible :
Je fais l’hypothèse qu’aucune époque n’a confronté l’homme à sa dépendance, d’une manière aussi radicale et brutale. Et je pense que c’est cela qui rend notre rapport à la dépendance actuellement insupportable, impensable. Il ne faut surtout pas rendre les gens dépendants ! Assumer, accompagner la dépendance cela sous-entend une solidité de l’autre en soi. Si cet autre est constamment abandonné, appauvrit, maltraité par l’absence de répondant et de contenant comment le Je pourrait-il tolérer de se confronter à la dépendance, la sienne ou celle d’un autre ? La dépendance ferait vivre une insuffisance, une castration qu’il n’est plus possible d’assumer. Au-delà de la castration c’est l’angoisse du vide qui est là. Quels parents devenus vieux aujourd’hui attendent d’être accueillis par leurs enfants ? Tous s’empressent de régler le problème en amont. Une angoisse dans les institutions est souvent formulée ainsi « Il n’avance plus, qu’est-ce qu’on va en faire, où est-ce qu’on va l’orienter, est-il vraiment à sa place ici ? » Pourquoi celui qui n’avance pas serait-il gênant, envahissant ? J’y vois deux raisons. La première serait systémique, c’est ce que je disais au-dessus, le sujet qui n’avance pas n’entre pas dans le flux, donc il risque de gripper la machine. La deuxième est plus institutionnelle : les sujets en difficulté psychosociale ont du mal à penser, à désirer par eux-mêmes, ils souffrent de troubles identitaires-narcissiques qui les font vivre au bord du vide, dans l’acte et l’addiction. En face, l’institution elle-même n’arrive plus, comme on le voit tous, à se penser et se projeter. Comment alors les accompagnants pourraient-ils accueillir cette non-pensée, ces angoisses clivées, agies, exportées sans trop les subir quand l’institution se débat elle-même avec l’insignifiance et l’insécurité ? Comment pourrait-elle répondre ? Face à ceux qui ne répondent plus de rien, souvent elle ne répond pas. C’est alors au cas par cas, un tel ou une telle de l’équipe qui doit recevoir cette errance terrible et se la coltiner, parfois, jusqu’à l’arrêt maladie. Celui-ci ou celle-ci répond pour l’institution, non pas en son nom, mais à sa place. L’institution ne garantit plus le cadre et la sécurité qui permet d’investir un sujet en souffrance, sans y perdre des plumes. Le cout du transfert devient si élevé qu’il est souvent rejeté. Une éducatrice d’un certain âge disait : « Je ne sais pas quoi faire de ce que les gens me disent, de ce qu’ils projettent sur moi, alors j’essaye de raccourcir les entretiens, de rester sur ce que j’ai à faire. » Evidemment, cela peut être évoqué et accueilli en analyse de la pratique, mais ça ne suffit pas à autoriser l’écoute au quotidien.
Puisque nous vivons dans « l’ère du vide » G. Lipovetsky, la rencontre devient désormais angoissante. Il est même possible qu’elle véhicule des fantasmes archaïques, entre intrusion et dévoration.
Mais il est possible aussi que, sur le plan symbolique, cette dévoration globale ait déjà lieu. Kaës parle du « retour de l’anthropophagie » : « Dans la plupart de nos sociétés, l’anthropophagie a quasiment disparu comme acte physique. Ce qui subsiste, c’est une anthropophagie de survie et, plus courante, une anthropophagie morale et intellectuelle : dévorer les idées et les pensées de l’autre, (…) ces pratiques sont courantes et croissantes dans l’industrie, à l’université, dans la création artistique : usurpation, pillage, usage du copier-coller, (…) comme une « grande bouffe » universelle, chacun s’entre-dévorant. Elle est l’équivalent du meurtre de la pensée de l’autre et du meurtre imaginaire d’un rival omniprésent et anonyme. »
Tenir compte de l’autre dans sa pensée et sa différence c’est exigeant et couteux, c’est long et on n’est jamais sûr du résultat. C’est pourtant ça la clinique. Alain-Noel nous a bien fait sentir que la clinique dans les institutions était une nouveauté par rapport à l’histoire ancienne des sociétés, voire un luxe qui a duré quelques dizaines d’années et qui aujourd’hui est largement remis en question. Notre immense précarité, insécurité générale rendrait la clinique et l’accès à l’autre dangereux, parce qu’il faudrait d’abord sauver sa peau, son enveloppe et ses objets à soi et simultanément entretenir le flux qui est en passe de devenir le seul « objet » permanent.

Conclusion :
Le tableau que j’ai peint est assez sombre mais c’était prévisible. Mais je n’ai observé que ce qui ne va pas. Je constate que les équipes réussissent encore à travailler, que des initiatives sont possibles et portent leurs fruits. Je remarque que l’analyse de la pratique bien qu’elle soit un exercice parfois pénible pour certains, reste attendu et produit encore des effets. Un éducateur technique lors du bilan en présence du chef de service et de la directrice : « C’est vrai qu’on a passé cette année en APP à se disputer, à ne parler que de nous et assez peu des jeunes, mais je trouve que finalement on a réussit à se dire des trucs qu’on peut plus se dire ailleurs, et ça nous aidé à faire notre travail. »
Les institutions n’ont plus les moyens de répondre, mais du coup, s’il n’y a plus de marge dans la rencontre, il y a peut-être de la place dans la créativité …
Je voudrais terminer en appui sur une petite phrase de Winnicott redécouverte dans ce même livre de Kaës. En parlant de la culture Winnicott précise que c’est « quelque chose qui est le lot commun de l'humanité auquel des individus et des groupes peuvent contribuer et d'où chacun de nous pourra tirer quelque chose, si nous avons un lieu où mettre ce que nous trouvons. » Je retiens ce lieu où mettre ce que nous trouvons. C’est exactement ce qui est en souffrance aujourd’hui, je crois. Ce lieu est forcément multiple et polymorphe, il peut tout à fait correspondre au préconscient qui donc semble se rétrécir à vue d’œil. Il est tout ce qui fait cadre et contenance. Les institutions sont censées offrir ce lieu pour ne pas perdre ce que l’on trouve, pour le retrouver et en faire quelque chose. Parfois encore elles le font. Une équipe de jeunes chefs de service après l’avoir évoqué en APP et élaboré en réunion, propose au CA un peu vieillissant de l’association de faire une journée autour de l’histoire de l’institution dans un souci de transmission. Bien que les réunions d’équipe soient à peu près partout devenues des temps organisationnels qui évitent soigneusement de recevoir ce que chacun trouve, il existe des moments de réappropriation. Quoi qu’il en soit, d’une manière générale, il est évident que ce lieu dont parle Winnicott représente l’objet perdu par excellence.
Ce serait en fait un lieu « bionien » pour penser les pensées qui passent et que le flux emporte, les articuler, les développer et se les réapproprier sous un nouveau jour. Ce serait un lieu où penser ce qui n’a pas pu l’être suffisamment, grâce à la polyphonie et à l’enveloppe d’un groupe par exemple. Ce Séminaire, les groupes de travail, l’association elle-même, sont des lieux qui peuvent être investit de cette façon.
Cette expression de Winnicott me parait assez bien venue pour repenser l’analyse de la pratique. Je me disais que, assez souvent, les équipes pouvaient être en difficulté pour investir l’APP. Au regard de ce qui précède, on peut aisément le comprendre. Ne serait-il pas intéressant de se dégager des situations et des problèmes institutionnels pour se contenter de recueillir, de collecter, de rassembler ce que chacun trouve sur son lieu de travail ? Se dégager des situations et de la demande inlassable de solutions à laquelle il est à la fois facile et impossible de répondre pour réussir à faire confiance à ce lieu juste contenant. Un lieu qui travaillerait à ranimer la parole et la pensée, à la désidérer, la réchauffer, sans objectif même d’analyse de la pratique … On va me répondre : mais alors on y mettrait quoi dans ce lieu ? A vrai dire, je n’en sais rien, c’était mon quart d’heure de rêverie.

Xavier Contamine
Le 4 septembre 2015

Le contrôle

Le contrôle sans contact

Mattheu B. Crawford, un philosophe américain, dans son livre « Contact » (2016), parlant des traders et de la « zone » dans laquelle ils entrent, un état quasi hypnotique et autarcique, il écrit : « Cela n’est possible que parce que les réalités humaines impures et confuses qui se dissimulent derrière les produits financiers qu’ils négocient sont évacuées à travers plusieurs couches de représentations et de modèles mathématiques, ce qui autorise une sorte de « contrôle sans contact. »
Cette idée de contrôle sans contact m’a permis d’engager une réflexion sur le problème de ce que j’appellerais les filtres aujourd’hui dans les relations sociales et professionnelles.

Dé-transitionnalisation en cours ?

Nous connaissons des filtres constructifs, cad transitionnels. La fonction pare-excitante articulée à l’hallucination négative de la mère par l’enfant est le mécanisme par lequel l’enfant introjecte une structure encadrante interne (Green) qui lui permettra de pouvoir penser ses pensées. Ici la perception de l’objet est filtrée par l’hallucination négative, ce qui rend possible l’élaboration primaire d’une intériorité. L’espace transitionnel (dont le doudou est une manifestation) fonctionne aussi comme un filtre entre dedans et dehors, en contenant à la fois le dedans et le dehors, il représente la phase transitionnelle d’accession à l’altérité, à la différence, à l’imaginaire. Le doudou est une manière pour l’enfant de contrôler son rapport à la réalité par le contact sensoriel qui rassure et filtre donc la perception. Ce mécanisme autorise, en sécurité, la fabrication de représentations contenantes. Dans ces deux cas, le filtrage se présente sous la forme d’un contrôle avec contact. Je reprends le mot contrôle dans le sens de la contenance interne des pulsions et des affects. Dans ce type de contrôle psychique non seulement le contact est présent, mais c’est lui qui rend possible le processus. Dans ce texte je ferai l’hypothèse que le lien social sous forme de contrôle sans contact pourrait exprimer un déni du processus transitionnel de croissance. Pour Winnicott nous ne sortons jamais de l’aire de l’illusion, cad qu’il est impossible d’investir quoique ce soit sans avoir inconsciemment fabriqué l’illusion de l’avoir créé. Chez P. Aulagnier nous ne sortons jamais du processus originaire. Processus qui nous offre le monde comme un prolongement de nous-mêmes. La bouche et le sein, par exemple, seraient vécus comme une entité indissociable, si l’un fait défaut c’est le tout qui menace de disparaitre. C’est adossé à ce fond « comme-un » que nous pouvons bricoler de l’autre et du plusieurs.
La toute-puissante techno-science peut-elle dé-transitionnaliser notre rapport à la réalité ?
Ma fille de 12 ans, me dit « Regarde papa j’ai trouvé un nouveau filtre sur Snapchat ! ». Pour les ignorants un filtre sur Snap est un effet numérique qui tend à lisser les traits du visage ou à les caricaturer en les déformant de manière extravagante. Je la vois régulièrement devant son Smartphone à la recherche de la pose la plus avantageuse et toujours avec un filtre électronique qui lissera son visage de 12 ans ! Je retiens là ce rapport filtré à son image, qui peut très vite devenir obsédant et addictif, et tout à fait déprimant. (Histoire de remettre un peu de symbolisation, je lui demande de m’écrire quelque chose sur l’idée du filtre dans ses rapports aux autres, elle écrit le mot de cette façon : philtre. Jolie faute qui m’a plutôt rassuré sur son imaginaire de jeune fille !)
Dans un registre moins narcissique, nos véhicules filtrent non seulement le CO2 mais aussi et surtout notre rapport à la route via des tas de gadgets technologiques qui analysent, anticipent, traduisent à notre place les aléas de la route.
Toutes les recettes de vie dans les magasines et dans les médias, les techniques de développement personnel, les coachs en tout genre, tout cela agit probablement comme des nouvelles normes sociales mais surtout comme des filtres qui nettoient et aseptisent les rapports humains et le rapport de l’humain avec lui-même, par des réponses préfabriquées.
La médecine utilise de plus en plus de machines sophistiquées pour identifier les lésions, les tumeurs, etc. Le temps de l’examen clinique (auscultation, discussion), que l’on peut interpréter comme un temps de contact et d’appropriation mutuelle entre médecin et malade, devient quasiment inexistant. (Propos d’un médecin-chef).
Par ces quelques exemples je veux faire sentir que la tendance générale va bien dans le sens non pas d’une intermédiation technique et technologique, mais plutôt d’une substitution par la technique des facultés d’appropriation subjective du sujet. Mais depuis l’aube de l’humanité l’évolution technique ne va-t-elle pas inexorablement dans ce sens ? Dans le sens d’une externalisation-augmentation prothétique des facultés humaines. Ceci est une question philosophique passionnante qui n’est pas de mon ressort.
Dans les institutions, les procédures et les protocoles servent de modèles d’actions préfabriqués, et agissent, à mon avis, sur la psyché comme des filtres. Ils viennent se substituer au cadre. Avec une procédure plus besoin d’un cadre de travail, ni de cadre interne. La procédure fait office de filtre entre les protagonistes de la relation, elle induit le professionnel à se comporter comme un trader : établir un « contrôle sans contact. » Relation que je qualifierais d’obsessionnelle. Ce n’est pas le sujet lui-même qui serait obsessionnel, mais le mode relationnel : Si je m’approche de ce qui est sale chez l’autre, c’est dans le but de le nettoyer le plus vite possible, cad de le rendre conforme (en l’occurrence autonome). Plus encore, si la procédure réussissait effectivement à analyser, anticiper, traduire à ma place, finalement elle aseptiserait la relation. Comme un blanchiment du lien d’accompagnement qui finirait par ressembler à ce moment là à une relation de type opératoire, sans affect donc sans rencontre.
En revanche, les directions ne filtrent plus les prescriptions gestionnaires. Mais est-il encore nécessaire de réduire la complexité, (car filtrer c’est toujours réduire la complexité), quand les « bonnes pratiques » ont déjà fait le job ? L’institution, nous l’avons dit souvent, perd son dedans et son dehors, et se présente comme une plateforme ouverte qui gère des flux. Les risques d’emprise tyrannique par un despotique fondateur sont fortement réduits mais l’aliénation n’en est pas moins virulente. Les équipes ne sont plus confrontées à l’injonction de devoir penser comme le fondateur, mais au risque de ne plus penser du tout ou de penser de manière contrôlée.
De toute évidence, les enveloppes institutionnelles (filtres constructifs) disparaissent à l’exacte mesure où les procédures, les contrôles et les normes envahissent les institutions. Le filtrage, qui reste vital, se serait déplacé et aurait changé de forme. On serait passé du filtre anthropologique transitionnel : cadres, règles, pensées, au filtre technocratique obsessionnel : procédures, contrôles, évaluations. En faisant cela l’état technocrate, qui vise à contrôler les budgets et l’application des normes, ne mesure sans doute pas qu’il prive l’institution et les équipes de leurs facultés transitionnelles de croissance. En effet, comment une institution, une équipe, un professionnel pourrait continuer à « grandir » sans avoir à soutenir le travail d’élaboration et de transformation du réel qui, nécessairement, vient l’impacter régulièrement ? Le travail de transitionnalité, que l’on peut étendre à tout type d’activité, consiste à s’approprier un réel par les moyens de l’illusion créatrice. Cela consiste finalement à trouver-créer ce réel, quel qu’il soit. Ce qui est très compliqué avec les injonctions gestionnaires car, particulièrement dans le domaine médico-social, elles font l’effet d’injonctions paradoxales.
C’est en cela, je pense, que l’on peut saisir ce paradoxe soulevé par H. Rosa d’une accélération qui pétrifie le temps, ce qu’il appelle une immobilité fulgurante. Je reformulerais cette idée de la manière suivante : l’accélération est incontestable, au sens du changement permanent mais, en sourdine, se développerait une pétrification des processus de croissance psychosociaux. Accélération pétrifiante. Si nous avons le sentiment que le temps passe trop vite, que tout change tout le temps c’est qu’en réalité ces changements se déroulent sans nous. Le contrôle sans contact serait une forme d’expression dans le lien social des processus sans sujet. Ce qui ne peut plus être contenu de l’intérieur sera contrôlé par l’extérieur.

Le préconscient menacé

Selon moi les deux types de pensée qui représente le mieux l’idéologie gestionnaire et son obsession de l’efficacité, sont les types obsessionnel et opératoire. Car dans les deux cas, c’est bien le filtre transitionnel du préconscient qui est défaillant et qui conduit ces profils à avoir recours à des comportements et des supports abstraits et objectivants pour entretenir leur système défensif.
Observons rapidement ces deux formes typiques de structure psychique.

L’obsessionnel a un problème majeur : il refoule mal. Sa pensée est constamment menacée de se resexualiser et donc de laisser émerger les fantasmes incestueux et morbides qui le terrifient. Sa solution : le contrôle réflexif. Puisque, comme nous tous, il ne peut pas ne pas penser à minima, il va développer un système de pensée, une sorte d’hyper réflexivité paradoxale, qui veille constamment sur toutes pensées et sur tout affect émergent de manière à ce que la moindre menace fantasmatique soit filtrée. C’est le maitre de la procédure mentale et de l’évaluation perpétuelle. Il cherche intensément des réponses à ses questions existentielles mais ne doit surtout jamais rien trouver de satisfaisant ou de plaisant car cela obligerait à baisser la garde. Il tourne en boucle et ne trouve de l’apaisement que dans l’élaboration de ses procédures. L’obsessionnel est le contraire d’un subversif. Le contrôle renforce le refoulement. Le filtre procédural mental remplace l’élaboration préconsciente. Son Surmoi évalue ses pensées comme les choses qu’elles désignent, cad comme des actes potentiels. Autrement dit sa pensée est performative : penser c’est faire. S’il entrevoit qu’il pourrait déprimer, l’angoisse surgit car il se voit aussitôt avec un pied dans la tombe.
L’obsessionnel crée donc en permanence des filtres mentaux anti-sexuels et anti-déprimes. Là où il est humain, c’est qu’il doute. Car il est suffisamment intelligent pour se rendre compte que tous ces filtres le protègent de quelque chose et que, s’il en a tant besoin, c’est bien qu’il y a quelque chose qui pousse fort quelque part. Alors, il doute de lui-même et de ses propres défenses, et il doit ainsi vérifier encore et encore ses propres vérifications. C’est le rituel obsessionnel. Mais ces rituels ne sont que des procédures de contrôles supplémentaires. Le système obsessionnel ne peut donc que s’emballer et envahir parce qu’il n’a pas confiance dans son surmoi, dans ses limites internes, dans ses contenants psychiques pour le protéger contre ses terreurs.
De la même manière, il ne peut que se méfier des autres et de leur pensée vivante et affectée. Il pourra, ainsi, être amené à développer des stratégies d’emprise et de contraintes à l’égard de son entourage comme il se les inflige à lui-même.

Le sujet opératoire. De loin, il ressemble à l’obsessionnel, mais il est beaucoup plus malade que lui. Chez lui rien ne filtre, rien ne passe car il ne refoule pas, il clive tout. Il élimine les problèmes avant même qu’ils ne surviennent. Il semble tout contrôler, en réalité il « réussit » à ne rien ressentir. Sa pensée est désaffectée. Il est blanc comme neige, comme sa dépression, dite essentielle. Son discours est factuel et raisonnable, sans fantasme. Il est tourné essentiellement vers l’extérieur et donc vers l’action. Il est incapable d’introspection.
Le problème du filtre ici est lié à un déficit majeur du préconscient, qui serait très fragile, très mince. Le clivage est redoutablement efficace car il protège très bien (contre des résurgences traumatiques ou abandonniques primaires) mais il interdit ou plutôt empêche, en se substituant à lui, le fonctionnement créatif du préconscient. Ce qui donne peu de représentations disponibles et une gamme d’affects très pauvre. Il est quasiment impossible pour ces sujets de mentaliser des conflits, le risque de décharge psychosomatique ou comportementale est donc élevé. La pauvreté fantasmatique du discours fait penser à un sujet sans histoire et sans Histoire. La pensée opératoire est indiscutablement efficace et adaptée à des réalités d’un autre ordre que celle affective ou fantasmatique et sans recul par rapport aux choses.
Pas besoin d’insister longtemps pour faire sentir que ces deux types de fonctionnements psychiques font penser assez nettement au technocrate et au bureaucrate.
Si l’on considère que le bureaucrate est celui qui applique les procédures élaborées par le technocrate, ne peut-on pas voir dans ce couple infernal et pathétique, le modèle emblématique de beaucoup de formes de gouvernances aujourd’hui ?
Indiscutablement, le monde opératoire de la norme, de l’activisme et du factuel, ainsi que le monde obsessionnel du rejet de la pensée vivante et du contrôle sont entrain de devenir notre monde.
Situé entre l’inconscient et le conscient, le préconscient filtre les poussées pulsionnelles (censure et refoulement), puis, il les transforme en désir. Il est le lieu de la l’élaboration de nos pensées, le lieu de stockage et de remaniement constant de la plupart de nos souvenirs, de nos cadres d’actions ordinaires et professionnels. Depuis Freud, le préconscient est le lieu de la liaison entre représentation de chose et représentation de mot. C’est bien le lieu de la pensée.
Kaes : « L’activité du préconscient constitue en elle-même une butée à la régression vers des positions désorganisatrices angoissantes dans la mesure où elle produit des représentations dans lesquelles le sujet s’inclut comme créateur de l’activité psychique. »
La perte la plus dramatique se trouve là, me semble-t-il. Si l’activité préconsciente s’amenuise à mesure que les filtres augmentent alors c’est l’illusion du sujet comme créateur de lui-même qui est menacée. Et forcément la menace dépressive guette en permanence. Le meilleur antidépresseur est toujours le plaisir de trouver-créer quelque chose.
Kaes : « La capacité d’héberger, de contenir, de lier et de transformer/interpréter qui caractérise l’activité intrapsychique du préconscient a pour condition certaines qualités du préconscient des autres. »
Kaes rappelle là la dimension fondamentalement intersubjective de l’activité psychique. Il faut toujours qu’il y ait de l’autre, au-dedans et au-dehors, pour que penser, accueillir, travailler soit tout simplement possible. Par l’envahissement de ces filtres anti-transitionnels, est-ce le rapport à l’autre qui risque de se transformer ?

Retournement du paradoxe incontenable

Winnicott : « Il faut accepter qu’un paradoxe soit toléré et qu’on admette qu’il ne soit pas résolu. On peut résoudre le paradoxe si on fuit dans un fonctionnement intellectuel qui clive les choses, mais le prix payé est alors la perte de la valeur du paradoxe ». “Jeu et Réalité”.
« Un fonctionnement intellectuel qui clive les choses » n’est-ce pas précisément un fonctionnement qui filtre la pensée affectée, soit à la sortie par le contrôle réflexif comme l’obsessionnel (même s’il ne s’agit pas là de clivage, l’effet produit est très proche), soit à la source comme l’opératoire ? On peut donc considérer comme le suggère Winnicott que ce fonctionnement qui clive représente potentiellement une forme d’attaque contre le paradoxe constructif de la transitionnalité. Il faut que ce soit blanc ou noir ! Le travail essentiel qui consiste à tolérer ce paradoxe là n’entre pas dans les cases de l’évaluation et n’est prescrit par aucune procédure. Je fais l’hypothèse que quand le paradoxe du trouvé-créé n’est pas acceptable par la psyché, ce système psychique ou idéologique ne peut produire lui-même que du paradoxe dans son rapport à l’autre. Demander quelque chose à quelqu’un en n’acceptant pas ou en ne sentant pas intuitivement que cet autre a besoin de créé ce qui lui est demandé pour pouvoir le mettre en œuvre, cela revient à lui infliger un paradoxe du type : faites ce que je vous demande, mais n’en faites rien.
Pourrait-on voir là une source de cette prolifération de situations rendues paradoxales par les managers d’aujourd’hui soumis eux-mêmes à ce système de l’efficacité à tous prix, système aveuglément positiviste : devoir travailler en équipe, mutualiser les moyens pour obtenir le plus de gain possible et dans le même temps être évalués individuellement, qui plus est, à l’aune de critères abstraits (normatifs et statistiques) qui n’ont aucun rapport avec ce que vous faites réellement. Ces critères là sont, en réalité psychique, des filtres qui annulent le lien affecté et la parole sentie, ce qui « permet » d’infliger le paradoxe sans rien en savoir. L’absence de répondant se loge ici, me semble-t-il.
« Soyez autonomes, soyez créatifs » « Faites le mieux possible en sachant que vous n’en avez pas les moyens.» La différence majeure évidente entre le paradoxe winnicottien et l’injonction paradoxale est que l’enfant pris dans l’aire de l’illusion, ni dedans, ni dehors, à la fois dedans et dehors, ne subit rien de personne. On ne lui inflige pas ce paradoxe dont il n’a aucune conscience. On rendrait fou l’enfant si on lui disait : tiens ce doudou, je te le donne, mais n’oublie jamais qu’il est à moi !
N’est-ce pas un peu, parfois, souvent, ce qui se passe dans les institutions ? Les directions vont et viennent à un rythme très élevée et de ce fait chaque nouveau directeur (trice) veut laisser une trace, tout reprendre à zéro, en tenant le moins compte possible des expériences précédentes : il n’y pas de problème, il n’y a que des solutions, les miennes ! Ces directions n’ont pas le temps, pour sauver leur place et leur peau, de laisser grandir leurs équipes. Je pensais à ces mères qui ne supportent pas que l’enfant les efface (hallucination négative) pour construire leur intériorité. Ne se voyant plus dans le regard de l’enfant, elles vivent cet effacement provisoire comme une disparition d’elles-mêmes. Alors elles vont tout faire pour exciter l’enfant, le surveiller, le stimuler, le contrôler, en somme l’envahir afin de laisser une trace indélébile de sa présence dans l’esprit de l’enfant. Trace qui aura la particularité psychique d’être indigeste. En refusant ce paradoxe fondateur : c’est en se laissant effacer par son enfant qu’elle prendra sa place dans son esprit, elle inflige un paradoxe : je te dirais comment tu dois m’aimer !
Je pense donc que les responsables, sous l’emprise d’un système qui valorise une pensée obsessionnel et opératoire, sont contraints, inconsciemment, de retourner le paradoxe trouvé-créé de la croissance psychique qu’ils n’ont ni le temps, ni les moyens de tolérer, en injonction paradoxale.
En voulant gagner du temps et de l’efficacité grâce au « contrôle sans contact » ils détruisent les filtres transitionnels qui permettaient l’accès au temps de la croissance.
L’espace transitionnel pour un professionnel du social c’est son cadre. C’est ce qui lui permet d’entrer en relation (entre dedans et dehors) avec les personnes qu’il accompagne, en relative sécurité, en relative illusion, donc en relative confiance (la confiance s’appuie nécessairement sur l’illusion), sans peur de se perdre, ni de perdre l’autre. Il provient d’un dehors qu’il a accepté (tâche primaire, règlement, objectifs) et d’un dedans (son désir, son expérience, son éthique, sa formation) qu’il peut ainsi exprimer, sublimer. On ne va pas lui demander : alors ce cadre tu l’as trouvé ou créé ? Quand un directeur-gestionnaire arrive avec sa procédure et son projet en voulant atteindre au plus vite ses objectifs, c’est comme s’il disait : laissez vos vieilles habitudes, vos vieux doudous, en voici des tous neufs et plus efficaces ! Il ne peut qu’obtenir des cris, des angoisses, voire de la dépression. Si c’est un gestionnaire un tant soit peu « transitionnel » et patient, l’équipe pourra sans doute s’approprier la procédure ou le projet. Ce qui semble encore exister. Mais si ce n’est pas le cas, l’effet produit n’est pas une perte, mais une casse. La conséquence de la casse peut se penser comme un retrait de l’investissement par peur de se perdre. Car ce qui est cassé c’est l’illusion indispensable d’être créateur de son travail. On assiste alors à une sauvegarde de la vitalité par le retrait de la vitalité. On obtiendrait ainsi un fonctionnement opératoire sans en avoir la structure.
L’APP est bien le lieu où il est possible de revisiter le travail effectué et de sentir cette illusion bénéfique d’être l’artisan de sa pratique. Il me semble que cette approche, dans l’esprit de l’intervenant en APP, peut donner un cadre pertinent dans le contexte actuel de désidentification généralisée.
Que se passe-t-il psychiquement pour un enfant qui grandi en voyant son visage filtré, expurgé de toute trace du temps, sur un écran ? Tant qu’il partagera cette expérience avec ses parents et qu’il fera des fautes d’orthographe, ça ne restera sans doute qu’un medium de plus pour fantasmer !

Xavier Contamine – juin 2018
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